Réflexions à propos d'une interview de M.G. BUFFET -
Sur France Inter, jeudi matin 28 février 2008
MGB s'est référée à l'exemple de die Linke (parti de la gauche allemande qui remporte en ce moment des succès significatifs), pour justifier le projet d'un parti de gauche français, capable de surmonter le glissement électoral catastrophique de législatives de 2007.
Cela m'a suggéré quelques réflexions sur des thèmes que j'ai entendu souvent débattre, notamment à Espaces Marx. J'y retrouve aussi des échos d'une problématique plus générale dont j'ai connu quelques expressions dans le mouvement social et communiste algérien, lui-même confronté aujourd'hui aux questionnements d'une difficile recomposition.
J'ai bien apprécié un certain nombre des réponses de MGB sur les problèmes concrets posés aux Français, par exemple sur la question de la médiatisation des grandes manifestations sportives. Quant au problème politique lancinant, concernant la recomposition de la gauche française, j'avoue être resté sur des interrogations et des inquiétudes. Les réponses de MGB aux questions qui lui ont été posées m'ont paru pécher par unilatéralité. Elles ne se sont pas appuyées selon moi sur certains des vrais enseignements des expériences positives auxquelles elle se réfère (celle de Die Linke est l'une d'elles). Pas plus qu'elles n'ont pris en considération les nombreux déboires dans le monde (je connais en particulier le cas de l'Algérie) où l'illusion d'élargir l'audience du mouvement social radical en renonçant à ce qui avait fait la force du mouvement communiste dans le passé s'est partout traduit par la dispersion et le rétrécissement souvent catastrophique de cette audience. Rançon d'une confusion déplorable entre la nécessité d'une mise à jour nécessaire pour se délester des approches dogmatiques et l'abandon prétendu inévitable des fondements dûment vérifiés à travers les succès remportés lors des périodes fastes du mouvement révolutionnaire.
J'ai moi-même observé l'expérience allemande de Die Linke et surtout celle de Synaspismos en Grèce dont les derniers résultats électoraux et surtout la montée en flèche dans les plus récents sondages constituent une excellente référence des possibilités ouvertes, sous condition, au mouvement de gauche (au dessous de 6% il y a moins d'une année, les sondages en faveur de Syriza (coalition radicale dont Synaspismos constitue le noyau) sont passés à 12 ou même 14 %, portant ainsi les pourcentages potentiels de la gauche (si elle était unie) aux environs de 20 % (ou plus en tenant compte d'une dynamique créée par l'esprit et la pratique de l'unité d'action dans le respect des autonomies respectives). Depuis longtemps, les dirigeants socialistes du PASOk au service d'une politique de droite avaient caressé le rêve "d'avaler" une partie des cadres ou des électeurs de Synaspismos; aujourd'hui, sous la pression du mouvement social, c'est le mouvement inverse qui s'opère avec des secteurs socialistes sincères qui se tournent à gauche.
Les réponses de MGB à des questions d'auditeurs m'incitent à penser que les enseignements essentiels de cette montée ne semblent pas avoir été saisis. Il m'a même semblé comprendre, à travers une certaine unilatéralité dans l'argumentation, les raisons de fond qui pont amené ou précipité les reculs et la crise du PCF. Je ne crois pas que cette crise sera surmontée si les équivoques que j'ai cru remarquer ne sont pas levées. J'ai cru constater un paradoxe entre la montée du mouvement social en France que le PCF semble appuyer et même initier à la base, et des discours idéologique dont les ambiguïtés ne font pas fructifier le développement et l'ancrage organique du parti , si même ils ne contribuent pas à creuser l'écart d'audience dont souffre le parti en tant qu'organisation politique.
Les réponses de MGB à 3 questions d'auditeurs m'ont paru illustrer cela :
1 - Raisons du décalage entre la grande influence du PCF des années 40-50 et l'effondrement électoral du PCF actuel
2 - Raisons de l'effondrement de l'URSS
3 - Appréciation sur les modalités d'enseignement et de sensibilisation à la Shoah préconisées par Sarko dans les écoles
Sur la question 1 : MGB rappelle à juste titre que le PCF avait assumé des tâches de large rassemblement national pour la libération de l'occupation nazie et pour la reconstruction. Elle omet en même temps de souligner que c'était accompagné de positons de classe (ne s'exprimant pas mécaniquement ou de façon ouvriériste) qui donnaient confiance aux travailleurs jusqu'à leur faire admettre consciemment certains sacrifices en faveur des tâches nationales (et pas seulement pour s'assurer une participation gouvernementale). C'est grâce à cette confiance que le PCF a su résister après 1947 aux attaques réactionnaires et atlantistes et conserver en cette période difficile une audience respectable.
Question 2 : MGB indique avec raison le déficit démocratique parmi les causes de l'effondrement du système socialiste en Europe de l'Est . Mais elle le fait dans l'absolu, sans le contextualiser et surtout elle omet un autre déficit d'importance majeure selon moi : l'insuffisance de réalisations sociales au profit des travailleurs, insuffisances dont les raisons complexes auraient gagné évidemment à être éclaircies et approfondies. La gravité de cette insuffisance réside dans le fait que lorsque le système a été mis en danger par le démocratisme suspect de Eltsine (et tout ce qu'il y avait derrière lui), le système socialiste n'a pas été défendu par les travailleurs au nom de qui il avait été instauré.
J'ai eu l'occasion d'observer en URSS dans les années 87-88 l'expression de cette tragique coupure à la base, à l'occasion des assemblées de travailleurs et de la population organisées pour leur expliquer la perestroïka. A la fin des exposés, très théoriques et axés sur la démocratie, les questions très concrètes de l'assistance fusaient en rafales (encouragées par le climat de liberté d'expression). Pourquoi on ne trouve pas de viande au marché, pourquoi le saucisson est si cher, pourquoi les besoins de logement dans la localité restent sans solution, etc. Les représentants de l'appareil, certains sincèrement, d'autres rongés par le bureaucratisme et par l'élitisme ne comprenaient rien à ce qu'ils considéraient comme un manque de culture politique de la base laborieuse. Mais c'était eux qui étaient à côté de la plaque et inconscients de leur propre insensibilité sociale, indépendamment des réelles difficultés objectives de l'économie. Méconnaissance de la finalité du socialisme qui a été payée cher!
Question n° 3 : MGB souligne à bon droit la position et les efforts de clarification des communistes sur ce qu'a été la << Shoah >>. Mais elle est restée sur le terrain où les sionistes cherchent à enfermer la question, lorsqu'ils mettent en avant à tout bout de champ la Shoah pour occulter la responsabilité écrasante de leurs comportements colonialistes et racistes dans la montée des haines et de l'antisémitisme en Palestine et dans l'embrasement de toute la région.
Il me semble que dans les guerres psychologiques acharnées ainsi livrées aux peuples et aux communistes, l'erreur serait d'être complexés par les arguments fallacieux et unilatéraux que les impérialistes néolibéraux utilisent sans arrêt pour conditionner l'opinion. ( J'en vois un exemple aujourd'hui encore, quand les media officiels en restent à l'appel pressant aux FARC de libérer Ingrid Betancourt, Appel tout à fait compréhensible, mais dangereusement boiteux et trompeur s'il ne s'accompagne pas de l'exigence et de fortes pressions pour que le réactionnaire Uribe crée lui aussi les conditions sectorielles de sécurité et politiques pour faciliter la libération des otages.
Dans les 3 cas, réponses déséquilibrées: chaque fois la réponse aborde un aspect vrai. Mais faute d'en aborder l'autre aspect, pourtant fondamental, on peut comprendre que la position unilatérale ainsi exprimée prête le flanc à des interprétations et des pratiques opportunistes. Le PCF s'en trouve laminé, comme paralysé et prisonnier des pressions s'exerçant à ses deux ailes. A sa gauche, le PCF perd du côté de larges secteurs prêts à lui apporter leur soutien, ce sont des formations gauchistes qui tirent bénéfice de ce qui apparaît comme carence et abandon par le PCF de ses positions de classe. Sur sa droite, une partie des gens les plus sensibles aux arguments et préoccupations de souplesse, de réformes, d'unité d'action avec les socialistes ou le MODEM n'ont pas de raisons particulières de s'investir avec le PCF puisque des formations plus à droite assument ce type de préoccupation.
L'enseignement essentiel à mon sens, confirmé par les progrès spectaculaires de Die Linke et de Synaspismos, c'est la nécessité d'une combinaison maîtrisée et simultanée entre de fermes positions de classe, sensibles aux souffrances et préoccupations des couches les plus exploitées et une grande ouverture sur les efforts unitaires autour, non pas de combinaisons et coalitions trop électoralistes, mais autour de programmes d'action sur des problèmes concrets vécus par les gens, les institutions et la Nation.
Je comprends bien que ce n'est pas un voie facile dans l'état où s'est retrouvé aujourd'hui le PCF. Mais il me semble que c'est la voie la plus sûre du redressement, en commençant par freiner tout ce qui alimente la spirale des glissements. Cela suppose de faire reculer les crispations des uns et des autres sur des points de vue idologiques unilatéraux qui ne font qu'ouvrir la voie aux émiettements et aux implosions. Il est possible et préférable me semble-t-il de renforcer les consensus favorables à l'unité d'action résolue autour des intérêts de classe, climat le meilleur pour les prises de conscinece et décantations idéologiques sur la base de l'expérience acquise. Il serait dommage de gâcher les conditions et les appuis potentiels qui existent déjà pour cela dans la société et le mouvement social et se renforceront de plus en plus tant que le PCF veillera à être à leur écoute