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Le blog de Pierre Laporte

Blog politique d'informations et d'échanges d'un élu conseiller départemental et maire-adjoint de Tremblay en France en Seine St Denis. Blog basé sur la démocratie participative. Chantier ouvert sur l'avenir de la Gauche.

Une Analyse d'André Brie sur l'Europe

Publié le 20 Janvier 2008 par pierre laporte in du local au global

La traduction est de françoise Diehlman
 

La gauche sera européenne ou ne sera pas

 
 
André Brie Député Européen allemand membre de Die Linke
 

"Le 'modèle social européen' a encore son avenir devant lui. La gauche européenne pourrait en faire sa marque, son projet commun, si seulement elle en a le courage."

                                                                                 Michael Krätke

 
1.

Deux convictions sont défendues avant tout dans ce qui suit. Premièrement : Une gauche allemande refondée n'a une grande chance politique que si elle remplit toute une série de préalables importants. Parmi ceux-ci, il en est un essentiel : elle doit être une gauche européenne et soutenir activement et concrètement la poursuite de l'intégration et de l'union de l'Europe. La gauche allemande refondée sera européenne ou ne sera pas. Deuxièmement : Il ne saurait y avoir d'Europe unifiée, sans Europe sociale. La crise profonde que traverse l'intégration européenne est due notamment à l'absence de cette orientation décisive. Aucune force ne pourrait donc être actuellement plus pro-européenne que la gauche, à condition qu'elle accepte ce défi... et qu’elle en ait seulement le courage.

La question urgente qui se pose à la gauche dans nombre de pays de l'Union Européenne, en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, mais aussi dans de nombreux nouveaux États membres, est de savoir si elle veut poursuivre l'intégration, et si oui, quelle intégration, quelles réponses aux grands défis.

Il y a, explicitement et tacitement, dans la gauche allemande des positions anti-européennes qui sont défendues par des arguments à prendre en partie au sérieux. Je partage la critique à l'encontre de la réalité de l'Union Européenne: que ce soit la prédominance du radicalisme de marché qui régit l'ensemble de l'orientation du développement de l'UE (les traités de Maastricht, d'Amsterdam, de Nice, le traité constitutionnel, la directive sur les services, par exemple) ; la forteresse européenne face au sud de la planète; la restriction des droits des citoyens et des droits humains; un déficit démocratique criant ; des ambitions militaires et de pouvoir dans les relations internationales et la volonté extrêmement peu développée d'orienter les politiques étrangères sur le renforcement de l'ONU, du droit international et du multilatéralisme ainsi que sur une prévention civile des conflits qui soit efficace et qui vise à s'attaquer aux causes.

La résistance de la gauche à cette politique est d'une nécessité urgente, elle doit devenir, sans le moindre doute plus forte, publiquement efficace et durable. Cela d'ailleurs, devrait s'appliquer non seulement au traité constitutionnel, mais de la même façon, au traité de Nice qui est tout autre chose qu'une alternative positive, d'autant plus qu'il n'offre aucun cadre juridique pour des pays qui souhaiteraient entrer dans l'UE, comme le soutient une grande partie de la gauche européenne.

Je suis convaincu que la désintégration de l'UE et le retour à l'Etat-nation, devenu entre-temps inimaginable, ainsi que la joie secrète éprouvée par une partie de la gauche face à un éventuel échec de l'UE, ne constituent pas des alternatives responsables. Premièrement, ces forces politiques, dont la définition préférée de l'Union Européenne est celle d'un bloc impérialiste, ne rendent justice ni à la réalité différenciée de l'UE, ni à ses côtés historiques positifs, ni aux possibilités qu'elle renferme aux plans social, démocratique et écologique, terrains actuellement d'ailleurs en friche. Défricher ces champs, devrait être au centre d'une réflexion de la gauche et des luttes qu’elle mène en Europe. Deuxièmement, la désintégration de l’UE, déboucherait sur une zone européenne de libre échange, néolibérale et destructrice socialement, mais qui, à la différence de l'UE, ne permettrait pas d'aménagement démocratique et social adéquat. Troisièmement, les possibilités d'utiliser l'intégration européenne pour empêcher une guerre structurelle et pour dépasser le nationalisme européen dévastateur seraient menacées tout du moins sur le Vieux Continent.

Ces trois estimations sont valables, sans limite, pour la gauche en Allemagne et dans quelques autres pays européens. Cependant, elles ne devraient pas concerner schématiquement la gauche de tous les États européens, qui, comme le Danemark, la Suède ou la Norvège, rencontrent d'autres conditions et luttent pour des normes sociales nettement au-dessus de celles prévalant dans de nombreux États de l'UE. D'ailleurs, ils doivent eux aussi vérifier si le modèle "scandinave" survivrait à la désintégration de l'Union.

2.

L'intégration européenne a accompli une performance historique. Elle a assuré la paix entre les États participants après des décennies de guerres impérialistes effroyables. C'était un élément décisif pour qu'elle soit acceptée par les peuples et c'est une mission permanente pour l'intégration de nouveaux États, afin de désamorcer notamment les conflits brûlants dans les Balkans occidentaux et de les résoudre par la perspective positive d'une coopération et d'une intégration européennes intensives.

Pendant des décennies, l'intégration a contribué bien au-delà à la prospérité, à la croissance économique et à une demande intérieure accrue. Elle a, par ailleurs favorisé formidablement les rencontres et contacts humains et culturels sur une grande partie du continent. En dépit de ses graves déficits et de ses crises répétées, l'intégration européenne est, pour la gauche, un point de référence positif de sa politique. Sa critique justifiée de l'orientation actuelle de l'intégration européenne doit donc, par principe, exclure une attitude hostile à l'Europe. Ceci d'autant plus que poursuivre l'intégration européenne offre la chance indispensable, de compléter les luttes nationales d'une dimension européenne et de les enrichir d'une dimension contemporaine, afin de venir à bout de l'idéologie néolibérale et de ses fondements.

Les Etats-nations restent un espace politique essentiel pour les changements démocratiques et sociaux nécessaires. Cela reste cependant insuffisant dans les conditions actuelles. De même qu'au XIXè siècle, le mouvement ouvrier et d'autres forces sociales et politiques faisaient des institutions politiques nationales, le champ de lutte pour maîtriser le capitalisme de Manchester et pour des alternatives qui visaient au-delà,   aujourd'hui la gauche peut et doit, outre les possibilités nationales, utiliser le cadre européen.

Actuellement, 40% voire 50% du produit social brut sont, certes, réalisés par les États membres de l'UE, via le commerce international, dont pourtant souvent, comme par exemple dans le cas allemand, pour les quatre cinquième au sein de l'UE. L'UE est un espace économique géant, avec un marché intérieur, qui pourrait être utilisé comme espace politique, capable d'empêcher le retour du capitalisme du laisser-faire par le biais de la mondialisation néolibérale, de conserver les différents modèles européens de l'État social, de les compléter et de les enrichir d'une dimension européenne. Cependant, la politique dominante n'utilise pas l'intégration européenne pour des alternatives à la mondialisation néolibérale, mais pour la véhiculer et l'accélérer. La gauche doit lui opposer sa propre politique européenne, au lieu de se replier unilatéralement sur le niveau national. La gauche doit occuper à la fois l'espace européen et celui des Etats-nations.

3.

Les trois possibilités et défis stratégiques d'une politique pro-européenne et offensive de gauche sont: une UE que le devoir de paix oblige, une union politique en tant qu'espace des luttes européennes de gauche pour des alternatives sociales, démocratiques et écologiques, et une Europe ouverte, riche humainement et culturellement. Le Parti de la gauche européenne s’y est explicitement engagé dans son Manifeste fondateur : « Pour nous l’Europe est, en matière de politique internationale, un espace de renaissance des luttes pour une autre société. La réalisation de la paix et la transformation de la société capitaliste actuelle seront à la portée de cette entreprise. Nous nous battons pour une société qui dépasse la logique capitaliste et patriarcale. Notre objectif est l’émancipation humaine, la libération des femmes et des hommes de toute forme d’oppression, d’exploitation et d’exclusion… Pour ces raisons, l’Union européenne tout comme l'ensemble du continent européen deviennent un espace de plus en plus important pour une politique alternative: en plus des niveaux politiques traditionnels, États-nations, régions et municipalités, et ce, en relation avec les développements mondiaux »

Malgré la liquidation d’importantes conquêtes sociales et démocratiques en Allemagne, en Autriche, en France et dans d’autres pays, le très influent économiste américain Jeremy Rifkin a en fait raison quand, à la question d’un journaliste du quotidien autrichien ‘Presse’ « Comment payez-vous ‘rêve européen’ ? L’Europe s’oriente après tout sur le modèle économique des Etats-Unis, on le voit dans les objectifs de Lisbonne », il répond : « C’est une erreur. En Europe j’entends toujours : Une économie forte et l’État social sont en contradiction l’un avec l’autre. D’après les statistiques sur les économies de croissance, ce sont toujours les pays nordiques qui sont en tête. Leur secret ? Ils ont réformés leur Etat social… » Une autre comparaison de Rifkin entre l’Europe et les Etats-Unis : « Vous discutez de droits que nous ne connaissons même pas : retraites, protection maternelle par exemple. Les droits humains, le développement durable, jouent un rôle primordial dans les discours politiques. Le rêve européen repose sur la coopération. C’est la raison pour laquelle il passe très bien dans le monde globalisé – contrairement au rêve américain individualiste ». 

On opposera à Rifkin, que la réalité européenne n’est pas telle qu'il la décrit, cela ne correspond ni à la réalité de la politique européenne, ni à celle des discours européens dominants. C’est vrai, mais cela ne change rien au fait que la gauche pourrait trouver dans un changement social et démocratique des réalités et des discours européens, une place plus durable que dans la seule résistance. Le sondage européen précité révèle qu’il existe pour cela une base certaine – bien qu’encore très abstraite – dans les populations. Des défis essentiels sont envisagés pour l'intégration européenne dans les prochaines années. Premièrement, la modernisation et la démocratisation de la communauté, de ses institutions et de ses mécanismes et ce en lien avec le processus constitutionnel ; deuxièmement, les relations avec les candidats à l’entrée dans l’UE ainsi que les possibilités et les limites de l’élargissement; troisièmement, la dimension sociale de l’Europe, incluant des aspects comme la lutte contre le chômage et la pauvreté ou le dépassement de la « stratégie de Lisbonne ».

4.

La crise actuelle de l’intégration et de l'unification de l'Europe est plus sérieuse et plus grave que les nombreuses précédentes. Elle est de caractère structurel. Désintégration, retour à l'Etat-nation, retour à une simple zone de libre échange ne sont plus une impossibilité en dépit des périodes de supranationalité très avancées qui ont marqué le processus d’intégration. Au contraire : Le « Continuez ainsi ! » dominant y conduira selon toute vraisemblance et par la force des choses. Le président tchèque Václav Klaus, un des critiques conservateurs de premier plan de l'UE a clairement exprimé cette possibilité comme un objectif de choix: « Je suis persuadé que c’est à l’ordre du jour de dessiner l’avenir de l’intégration européenne de façon tout à fait différente, de ce qu'elle fut jusqu'à maintenant. Nous devrions créer l'Organisation des États Européens (OEE), qui comprendrait les différents États européens, et non les citoyens comme le stipulait la Constitution européenne... L’adhésion à l’OEE ne peut être motivé que par une croyance commune dans la capacité des États membres de coopérer dans certains domaines et ce dans l’intérêt commun et de l’avantage mutuel. Le mécanisme de prise de décision doit se faire à l'unanimité, au moins dans tous les domaines importants. »                    

5.

L’intégration européenne est menacée à trois niveaux différents, mais intimement liés:

D’un côté, un nationalisme continu et renforcé qui détermine surtout les politiques européennes de la Grande Bretagne et de la Pologne, mais aussi le concept de Václav Klaus. Dans le traité de Nice de 2000, cette politique a pu célébrer un succès gouvernemental officiel. Un des instruments brandis ouvertement notamment par les forces nationalistes de droite est l’élargissement de principe et inconditionnel de l’Union Européenne avec comme objectif d'assouplir la cohésion interne de UE et de bloquer le caractère politique et supranational de l’intégration.

De l’autre, pour ce qui est des traités en vigueur et de l'échec du traité constitutionnel, les gouvernements ont répondu de façon impardonablement inadéquate à la contradiction réelle et à l’unité nécessaire entre l’élargissement géographique et l’approfondissement de l’intégration, de sorte que l’élargissement est devenu une menace réelle pour l'existence voire pour l'approfondissement de l’intégration. Ceci ne peut servir d’argument contre l'adhésion de pays qui le désirent, d’autant plus que la stabilité et la paix dans les Balkans occidentaux, par exemple, ne sont guère concevables sans une telle perspective. Il est contre-productif et inutile de poser la question, d'après les frontières géographiques de l'Union Européenne ou de stopper les nouvelles adhésions. Il faut répondre à la question, d'après la « finalité » de l’intégration européenne et de ses conséquences au niveau des contenus, des traités et des institutions (même si cette finalité pouvait faire peau neuve dans un avenir plus lointain). Ceci vaut aussi et surtout pour la gauche. C'est de cette façon que les frontières géographiques seront visibles et pourront être déterminées par les peuples et les États.

Finalement, et c'est la menace la plus forte ! C’est le radicalisme néolibéral de marché et de la concurrence qui se développe depuis les années 80 (Acte Unique Européen de 1987 ; Traité de Maastricht de 1992)  comme fondement du traité, qui menace l’intégration européenne dans sa substance. Bien que les gouvernements le déclarent comme un pas vers l'approfondissement de l'intégration qu'ils envisagent en partie, ce traité, pendant son application et sa réalisation jusqu’à la stratégie de Lisbonne de 2000 et au traité constitutionnel, en réalité, remet en question l'UE. La gauche le refuse avec raison comme une attaque contre le modèle social européen (les différents modèles sociaux européens) ; elle aurait au moins autant de raison de le refuser comme menace à l’intégration européenne.

6.

L’Europe de la concurrence conçue avec la stratégie de Lisbonne et ancrée dans les traités ne signifie pas seulement la destruction des liens sociaux dans les sociétés, mais aussi une Europe de la concurrence entre les États, au niveau de la localisation, pour les conditions d’utilisation du capital les plus profitables par de faibles impôts perçus sur les bénéfice des entreprises, des normes salariales, sociales et environnementales à la baisse et une diminution de la participation démocratique. Au fond, elle n'unit pas les sociétés européennes, mais les dresse inévitablement les unes contre les autres dans une concurrence sur les coûts du capital. La division sociale, l'exclusion et le déclassement de millions de gens dans les États européens, qui l’accompagnent et qui sont accélérés aussi bien par les États-nations que par les organisations patronales, scandalisent la gauche à juste titre dans les États européens. Cependant le niveau européen est négligé.

Si l’écart économique dans l’Europe des Quinze, (mesuré aux normes du pouvoir d’achat) entre les régions les plus hautement développées (par exemple Londres intra-muros) et les régions les moins développés (comme par exemple le Mecklembourg- Poméranie occidentale) était de 2 à 1, il est passé dans l'Europe des vingt-cinq de 10 à 1 (Le Londres intra-muros comparé à Lubelskie en Pologne). Des régions en Bulgarie et en Roumanie sont encore en deçà.L’écart économique entre les États (PNB par habitant) est tout aussi élevé. Si on laisse de côté le Luxembourg, dont le PNB par tête est le double de la moyenne de l’UE, il reste un écart de 5 à 1 aussi entre les États les plus forts économiquement (dans l'ordre : Irlande, Danemark, Autriche, Pays-Bas, Belgique, Suède, Grande Bretagne, Finlande, France, Allemagne) et les pays les plus faibles économiquement (Lettonie, Roumanie, Bulgarie).

La politique de cohésion européenne se doit de réaliser l'objectif de réduire ces différences. Mais la stratégie de Lisbonne orientée vers la concurrence radicale, l'enveloppe financière de l'Europe, insuffisante, des politiques nationales néolibérales semblables, tout ceci devait conduire l'ancien commissaire européen, Michel Barnier, à confesser dans le troisième rapport sur la cohésion économique et sociale, que le fossé entre pauvres et riches allait encore se creuser.La polarisation régionale continue avant tout d’augmenter. La réponse primaire de la commission européenne et des États membres est la concurrence entre les États, la concurrence pour des impôts faibles perçus sur les bénéfices des entreprises (Chypre : 9,7 % ; Lituanie : 12,8% ; Lettonie : 14,4% ; pour comparer, la moyenne de l’UE s'élève à 23,7%) ; la concurrence pour des bas salaires (salaire minimum en Lettonie : 116 euros ; Bulgarie : 77 euros ; Roumanie : 72 euros), la concurrence pour d’autre coûts réduits pour les entreprises. Ainsi, d’un côté, l’Europe n’est pas unie, les pays sont dressés les uns contre les autres du point de vue économique, fiscal et surtout social; de l’autre, elle devient le moteur du démantèlement social au sein des pays membres. « La concurrence sans merci au niveau des localisations conduit, dans les économies nationales les plus développées, à une pression massive sur les salaires, les normes sociales et également sur les systèmes fiscaux. Dans le même temps, la menace permanente des délocalisations ainsi que le chômage massif en Europe centrale et orientale empêche que ces pays atteignent un niveau social plus élevé. »

7.

Si la Gauche veut s’opposer efficacement au démantèlement de la sécurité sociale et de la justice sociale des États-nations, elle devra s’engager dans le même temps pour la cohésion et la solidarité au sein de l'UE, pour une politique de marché intérieur européen, pour une réforme du pacte de stabilité et de croissance de Maastricht, une refondation du statut de la BCE et le changement de la politique financière de la Banque centrale européenne, pour une contribution décisive de l'Europe à une nouvelle régulation du système financier mondial ainsi que pour des normes européennes concernant les impôts prélevés sur les bénéfices des entreprises, les salaires, les services sociaux et les droits syndicaux. Les idées de l’ancien président de la commission, Jacques Delors, concernant un gouvernement économique européen et une union sociale devraient être réintégrées dans le débat sociétal.

La discussion pour une alternative sociale est étroitement liée à celle pour une Europe unie. La crise profonde de l’intégration européenne est dans le même temps une chance pour son renouveau fondamental. Finalement, la poursuite de l’intégration européenne n’est concevable que si elle conduit à une union sociale et de l'emploi. Selon Jacques Delors, on peut ne pas aimer le marché intérieur, mais l'Europe en tant qu’union sociale serait le projet qui pourrait regagner les citoyennes et les citoyens à l’idée de l’intégration européenne. Les efforts les plus concrets et les plus pratiques pour limiter et dépasser le néolibéralisme dominant jusque dans le détail en font partie tout comme les alternatives fondamentales de la politique européenne et de l’intégration, ses bases contractuelles et constitutionnelles inclues.

Celui qui le veut, ne peut donc pas se satisfaire de "produire des concepts" de gauche (Rosa Luxemburg) et des visions – nécessaires -, mais devra être prêt et apte à la lutte aux plans intellectuel, politique, pratique et organisationnel, victorieuse à long terme, pour une politique de longue haleine  en vue d'un nouveau climat intellectuel et politique en Europe ; à un consensus anti-néolibéral, à un consensus pour un État social européen, sachant que le chemin est malheureusement long et dur pour y parvenir. Pour ce, une constitution européenne ne doit pas précisément reposer sur des exigences maximales, mais nécessite un compromis historique européen.

8.

Le « Non » français et hollandais au Traité constitutionnel de l’Union Européenne n’a pas déclenché la crise de l’intégration européenne, mais l’a finalement rendue visible. D'après l’ « Eurobaromètre » le soutien des populations quant à leur adhésion à l’UE, n’est qu’à 55 %. L’abstention lors des élections européennes, le désintérêt, les préjugés et l’ignorance sont grands, les attitudes nationalistes augmentent dans la plupart des pays de l’UE. On n’est pas encore venu à bout des conséquences politiques et sociales de l’élargissement de 2004. La stratégie de Lisbonne qui était censée faire de l’UE la région économique la plus « dynamique » du monde d'ici 2010 a échoué et est au contraire utilisée surtout en tant que moyen efficace pour la destruction des modèles d'État social européen. La « politique étrangère et de sécurité communes  » est solennellement évoquée dans chaque document et chaque discours et se transforme graduellement en une militarisation de la politique internationale de l’UE ; pour ce qui est de la volonté et de la capacité d'une politique étrangère commune, les gouvernements en sont très éloignés dans toutes les questions décisives.

L'identification des citoyennes et des citoyens au développement de l’UE, à sa politique et ses perspectives, a disparu. L’intégration européenne en tant que projet de paix reste un élément non négociable et actuel de sa reconquête. Seul, l’objectif d’une union sociale européenne pourrait provoquer une nouvelle identification fondamentale et durable. Le Comité central des catholiques allemands a exigé expressément, dans sa contribution du 25 novembre 2006, intitulée "le modèle social européen - fil conducteur des réformes", ignorée aussi bien du grand public que de la gauche : « L’Union européenne a besoin d'affirmer vigoureusement sa dimension sociale pour reconquérir la confiance des gens, tant au plan du sens que de sa capacité d'agir, que notamment de sa fonction de protection sociale qui lui revient – indépendamment de la question de compétence. Dans ce contexte, il appartient également à l’Union européenne […] d'octroyer aux questions écologiques une haute importance. C'est seulement ainsi que l’Union politique se réalisera pleinement sur la base d’une Constitution démocratique. ».La gauche peut aller au-delà de ces demandes avec une compétence concrète, mais elle ne peut pas rester en deçà.

9.

Le refus du Traité constitutionnel par la gauche est, à mon avis, justifié et bien fondé. Mais pour moi il est indéniable, que l’UE a besoin d’une constitution, une « loi fondamentale » qui se situerait dans la tradition de la Constitution américaine de 1787 – la Constitution la plus ancienne du monde encore valable aujourd'hui – et la Constitution de la Révolution française. Des droits souverains et d’autres droits très substantiels ont été cédés à l’UE sans que les citoyennes et les citoyens aient pu bénéficier de droits individuels justes par rapport aux institutions de l’UE et des possibilités effectives de participation politique. Une réforme des traités gouvernementaux ne sera donc pas suffisante.

L’UE doit, comme le stipule le Traité constitutionnel, partir de la volonté et des droits des citoyennes et des citoyens. Quatre-vingts pour cent des décisions du Parlement allemand et 60% des décisions des conseils municipaux allemands reposent sur des directives et des traités bruxellois ou bien ce sont ces derniers qui peuvent les déterminer d’une façon décisive. Sans Constitution, l’Europe est menacée de désintégration et de retomber de façon anarchique dans des cadres nationaux. Il ne peut s'agir uniquement d’éliminer les faiblesses du traité de Nice.

Une Constitution européenne doit garantir les droits des citoyennes et des citoyens ainsi qu'une démocratisation conséquente de l’UE. Elle doit créer les fondements à partir desquels l’Europe pourra soutenir une politique mondiale plus pacifique, plus sociale et plus écologique. La diversité des nations et des cultures, des expériences politiques et des points de vue religieux, des différentes traditions constitutionnelles doivent se refléter dans une Constitution européenne. Et elle doit conférer à l’intégration, de la fascination et une nouvelle identité, durable et contribuer à surmonter l’écart croissant entre les « citoyens européens » et la politique européenne. Y serait approprié: un texte constitutionnel beaucoup plus court, linguistiquement plus compréhensible et libéré des structures qui ne conviennent pas à une Constitution (et qui d’un point de vue démocratique sont hostiles à la Constitution).                  

Pour ce qui est de fixer l’UE sur un ordre économique (« économie de marché ouverte où la concurrence est libre » - Partie III), de l’obligation de réarmement des États « améliorer progressivement leurs capacités militaires » (Première Partie), de limiter la politique monétaire uniquement à la stabilité des prix (Partie III) ou d'intégrer le monétarisme de Maastricht dans les protocoles du traité constitutionnel, tout ceci ne trouve d'équivalent dans aucune constitution démocratique au monde. Ils sont incompatibles avec toutes les réglementations constitutionnelles écrites et non écrites valables des pays membres. Ils sont en contradiction flagrante avec les objectifs de l’UE formulés dans l’Article I-3 et dans la Charte des Droits fondamentaux de l’UE et transgressent très clairement le droit de vote démocratique actif et passif des citoyennes et des citoyens, car, indépendamment de la volonté des électrices et des électeurs, ils fixent unilatéralement la politique néo-libérale, monétaire et militaire.

La critique de gauche ne réside donc pas sur une Constitution de « gauche », dont on ne démordrait pas, mais sur une Constitution démocratique. Les Parties I et II (Charte des Droits fondamentaux) du Traité constitutionnel offrent, en dépit de toutes leurs faiblesses, pour l’élimination desquelles il faudra lutter, la substance fondamentale d’une Constitution européenne possible et nécessaire, comme cela a été proposé le 21 janvier 2007 par la Coalition de Gauche et Démocratique de Pologne : « Le texte actuel du traité constitutionnel devrait être simplifié et abrégé. Il devrait contenir ses parties les plus importants (1er et 2ème) qui incluent objectifs, compétences et exercices, institutions, règles d’adhésion et la charte des droits fondamentaux. ». Les  autres questions peuvent être résolues politiquement et juridiquement dans des traités gouvernementaux.

10.

Pour ce qui est de la perspectivede l’intégration européenne et d’un point de vue de gauche, l'engagement social de l’UE reste cependant un problème clé. Les principes formulés dans les « Objectifs de l’Union » (Article I-3) sont insuffisants même si l’Union s’y engage explicitement : « Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations et promeut la justice et la protection sociale, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres. ».

C’est surtout l’orientation vers une « économie sociale de marché hautement compétitive » qui révèle le déficit social de l’Union, même si la notion d’ «économie sociale de marché » figure pour la première fois dans un traité de l’UE. Même si elle est atténuée par l'article précité, l’économie sociale de marché est complètement insuffisante pour le développement nécessaire de l’UE vers une union sociale et de l’emploi. Ça serait d'ailleurs une décision qui relève plus du politique que du droit constitutionnel.

Une politique visant à surmonter les déficits sociaux de l’UE irait bien au-delà des idées d’une orientation sociale et d’une correction politique du marché et signifierait l'abandon fondamental de la stratégie de Lisbonne et une politique d’État social de l’UE, au moins dans le sens des propositions faites antérieurement par Jacques Delors. Officiellement la stratégie de Lisbonne souligne le lien entre croissance et emploi, d’un côté, et cohésion sociale, de l’autre.

Les « réformes sociales » exigées et réalisées dans l'ensemble de l’UE visent cependant à remodeler l’État social, selon le principe de la « responsabilité individuelle ». Cela veut dire que, par exemple, en matière de vieillesse généralisée, les systèmes de retraite publics se limitent à autre chose qu'à une sécurité liée à la pauvreté, d'autant plus que l'orientation prioritaire sur les prestations - qu'elles soient privées ou professionnelles - doit servir avant tout à la création d'un marché financier européen. Pour ce qui est de la santé, on s'oriente vers des prestations obligatoires « médicalement nécessaires » ainsi que vers des paiements supplémentaires. Bien que le sommet de printemps 2006 confirmait la stratégie de Lisbonne, les objectifs politiques d’emploi ont été, en réalité, largement abandonnés.

Généralement en ce qui concerne les « réformes » dans le secteur social, il n'existe pas de transformation vers des systèmes durablement fiables, par contre on assiste au retrait de l'État à l'échelon de l'Europe de l'assistance collective. Ce que beaucoup de gouvernements nationaux n'osent pas dire ouvertement - le système américain s'est imposé comme principe directeur au niveau européen et également dans les Etats-nations par le biais de la politique l'UE: dénonciation de l’État social en tant qu'obstacle à l’entreprise et à la concurrence, privatisation et orientation de l'aide sociale vers le marché du capital, dérégulation des marchés du travail. On se distingue des États-Unis sur un point : Tandis que Washington oriente sa politique financière et économique sur son propre marché intérieur, la Commission Européenne et les gouvernements européens misent sur le marché mondialisé et libéral et sur la concurrence des coûts entre pays membres, au lieu d'utiliser et de développer le grand marché intérieur européen, la demande intérieure européenne et une politique de cohésion économique et sociale.

11.

Le modèle social européen avec ses articulations nationales très différentesdoit recevoir un complément vraiment européen et se développer vers une politique européenne de l’État social. Le Comité central des catholiques allemands a décrit sous la forme d'un avertissement à la politique actuelle le modèle social européen comme un système à la base duquel se trouve "une image de l'être humain qui accorde à tous la même dignité et les mêmes droits inaliénables. L’individu dans sa dignité personnelle est l’objectif et le porteur des processus sociaux. Le droit la liberté et les droits du citoyen qui résultent de cette image de l'être humain, nécessitent qu'ils soient complétés par des droits sociaux, car la liberté ne réside que là où on peut y avoir recours. Les droits sociaux doivent le permettre. Logiquement, ils visent à la participation de tous à la vie politique et sociale. » 

La réalité sociopolitique dans les États européens et dans l’Union est cependant tout autre : la politique sociale est au mieux une correction et un complément secondaire de la politique économique capitaliste. C'est aussi l’essence de « l’économie sociale de marché ». Une orientation vers l’État social signifie non seulement une équivalence entre la politique économique et sociale, mais une approche différente : avec l'ensemble de sa politique, y compris économique et monétaire, l’État et l’UE seraient tenus au plein emploi (nouveau, moderne et durable), à la cohésion et à la justice, l’égalité et la sécurité sociales et à un développement solidaire de l’UE. Finalement, un développement de l’UE orienté plus résolument vers le marché intérieur serait exigé, ce qui aurait, de loin, davantage de succès que la stratégie de Lisbonne.

12.

Aussi pour moi, le cercle se ferme : Qui lutte en Allemagne ou en France pour le renouveau de l’État social doit prendre en compte l’intégration européenne en tant qu’espace décisif de cette lutte. Qui veut conserver le projet d’intégration européenne, ne le doit et ne le peut que dans la perspective d'une union sociale européenne. Sans un changement fondamental de la politique économique européenne au lieu de la « New Economy » du processus de Lisbonne, cela sera impossible. La démocratisation de l’UE (que je ne peux pas aborder ici), la cohésion et la sécurité sociales, le développement durable, tous devront être en même temps les objectifs sociaux et les composantes intégrales de l’UE. Les fondements de cette approche complexe (« policy mix ») sautent aux yeux :

 - une coopération politique et économique entre la Banque centrale européenne, la politique économique et fiscale des États et la politique salariale,

- une politique monétaire moins tendue,
- une politique salariale orientée vers la productivité,

- une stratégie orientée vers une économie intérieure durable et caractérisée par des réformes structurelles socio-écologiques qui viseraient à une « dématérialisation substantielle de l’économie européenne »,

- une politique budgétaire qui renforce les investissements publics, la recherche et l’éducation ainsi que le développement des ressources humaines,

- une politique conséquente d’égalité,

- un engagement réel de l’UE à venir à bout du chômage massif qui peut entre autre être soutenu par l’inclusion du taux de chômage (plus de 10%) dans les critères pour accéder au niveau le plus levé de la politique de subventions de l’UE,

- une union sociale avec des normes minimales européennes pour les services sociaux, les salaires et les impôts prélevés sur les bénéfices des entreprises qui approcheront vers le haut les « corridors des politiques sociales »ainsi que « les normes quantitatives et qualitatives, par exemple pour l’amélioration de la protection de la santé, pour le niveau minimal d’une sécurité sociale de base de pauvreté…, une norme minimale de l’UE pour des salaires minimums (par exemple 65% du salaire national moyen), pour résoudre la situation des sans-abri ou éliminer l’analphabétisme. » (Klaus Dräger)

13.

En décembre 2001 les chefs d’États et de gouvernements ont engagé la convention pour l’élaboration de la Constitution par la déclaration : «En résumé, le citoyen demande une approche communautaire, claire, transparente, efficace et menée de façon démocratique. Une approche qui fasse de l’Europe un phare pour l’avenir du monde : une approche qui donne des résultats concrets, se traduisant par plus d’emplois, une meilleure qualité de vie, moins de criminalité, une éducation de qualité et de meilleurs soins de santé. Il ne fait pas de doute que l’Europe doive à cette fin se ressourcer et se réformer » . Vous voyez, ils le savent bien.En tant qu’universitaire, j’aurais mis comme observation sur la copie de mon étudiant : « A développer » !

 
Traduit  de l’allemand par

Carla Krüger et Françoise Diehlmann                              





Docteur en sciences politiques, Député européen de « die Linke »



Ce texte reprend les  Thèses présentées par à la conférence sur l'Union Européenne organisée par la GUE/NGL et la Fondation Rosa Luxemburg les 10 et 11 mars 2007. Il est publié en français dans le trimestriel n° 7/8 de novembre 2007 de la revue FondationS éditée par la Fondation Gabriel Péri : www.gabrielperi.fr

Manifeste du Parti de la Gauche européenne, 9 mai 2004 (http://www.european-left.org/about/docus/doc-fr/extendeddocument.2005-07-05.9220559359)
 

Václav Klaus: Es ist Zeit, der EU eine solidere Grundlage zu geben ; NZZ, 30. Août 2005.

 

Steffen Mau: Soziale Ungleichheit in der Europäischen Union ; Aus Politik und Zeitgeschichte, B 38/2004 ; Gerhard Gnauck: Schön, abgelegen, arm ; Die Welt, 15 Février 2005

 

Commission européenne. Un partenariat pour la cohésion, la convergence,  la compétitivité et la coopération. Troisième Rapport sur la Cohésion économique et sociale, Luxemburg 2004.

 

Michael Sommer, DGB-Vorsitzender : Ein europäischer Sozialvertrag  für das 21. Jahrhundert. Sechs Thesen, Berlin, 7. Avril. 2005

http://www.zdk.de/erklaerungen/erklaerung.php?id=157&page

The Left and Democrats coalition (LiD) – Statement on the EU Constitutional treaty. Warsaw, Janvier 2007 (http://www.sylvia-yvonne-kaufmann.de/eu-verfassung/verfassungsdebatte/200702010900.html).

Traité établissant une Constitution pour l’Europe, Communautés européennes, 2005, pp. 17-18 ou http://eur-lex.europa.eu/JOHtml.do?uri=OJ:C:2004:310:SOM:fr:HTML

Cf: André Brie: Europäische Sozialpolitik : Der Abriss des Sozialsstaates. Geschichtliche Wurzeln und Verläufe. Aktuelle Entwicklung. En Annexe: Acht Thesen zu einer Alternative aus linker Sicht ( www.andrebrie.de). 

Id., Ibid. 

Klaus Dräger: Visionen für ein neues Sozialsystem : Hat die Linke ein Projekt für Europa ? Manuscrit non publié.

Cf: Klaus Busch: Das Korridormodell – ein Konzept zur Weiterentwicklung der EU-Sozialpolitik, International politics and Society, 2/1998. Cf également : André Brie : Europäische Sozialpolitik. In : Cornelia Hildebrandt : Perspektiven des Europäischen Sozialstaates. . Berlin : Dietz 2003, pp. 13  87 (http://www.rosalux.de/cmas/fileadmin/rls_uploads/pdfs/Manuskripte_52.pdf).

Déclaration de Laeken sur l’avenir de l’Union Européenne, Conseil Européen de Laeken des 14 et 15 décembre 2001.

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